Chapitre 5 Rites et cérémonies Article 6 Le signe de la croix Un autre symbole remarquable du culte romain, c'est le signe de la croix. Dans le système romain, on le sait, le signe de la croix et l'image de la croix sont tout. On ne peut dire aucune prière, rendre aucun culte, on ne peut rien faire, pour ainsi dire, sans l'usage constant du signe de la croix. La croix est regardée comme le grand moyen d'enchantement, comme le grand refuge au moment du danger, comme la ressource infaillible contre toutes les puissances des ténèbres. On adore la croix avec tout le respect qui n'est dû qu'au Très-Haut ; et l'appeler devant un véritable disciple de Rome, de son nom scripturaire, l'arbre maudit, est une offense mortelle. Dire que cette superstition du signe de la croix, ce culte rendu par Rome à une croix de bois ou de métal ait pu résulter de la parole de Paul : "Dieu me garde de me glorifier en autre chose qu'en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ crucifié" (Galates VI, 14), est une pure absurdité, un vain subterfuge, Jamais les vertus magiques attribuées au signe de la croix, jamais le culte qu'on lui rend n'ont eu une pareille origine ! Ce même signe que Rome fait aujourd'hui était en usage dans les Mystères Babyloniens ; le paganisme l'employait pour les mêmes desseins mystiques, il l'entourait des mêmes honneurs. La croix du christianisme
Le Tau mystique était marqué au moment du baptême sur le front de ceux qu'on initiait aux mystères (1) et on l'employait de bien des manières différentes comme le plus sacré des symboles. Pour identifier Tammuz avec le soleil, on le joignait quelquefois au cercle du soleil, comme dans la figure n°4 (fig. 43), quelquefois on le plaçait dans le cercle (2), comme dans la figure n°5 (fig. 43). Peut-être la croix de Malte que les évêques romains ajoutent à leur nom comme symbole de leur dignité épiscopale n'est autre chose que cette même lettre ; cependant on peut en douter. Mais ce qui est hors de doute, c'est que cette croix de Malte est un symbole formel du soleil ; car Layard l'a trouvé à Ninive comme un emblème sacré, et il n'a pas pu faire autrement que de l'identifier avec le soleil (3). Le Tau mystique, symbole de la grande divinité, était appelé le signe de vie ; on le portait sur le coeur comme une amulette (4) ; on le reproduit sur les vêtements officiels des prêtres, comme sur ceux des prêtres de Rome ; les rois le portaient à la main, comme signe de leur dignité ou de l'autorité qu'ils tenaient de la divinité (5). Les Vierges Vestales de la Rome païenne le portaient suspendu à leurs colliers, comme le font aujourd'hui les religieuses (6). Les Égyptiens faisaient de même, et plusieurs des nations barbares, avec lesquelles ils étaient en rapport, le faisaient aussi, comme le témoignent les monuments Égyptiens. Parlant des ornements de quelques-unes de ces tribus, Wilkinson dit : "La ceinture était parfois richement ornée : hommes et femmes portaient des boucles d'oreille ; souvent ils avaient une petite croix suspendue à un collier, ou au col de leur vêtement." (fig. 44) Cette dernière coutume ne leur était pas spéciale ; cette croix était aussi attachée ou peinte sur les robes de Rotnno, on peut en voir des traces dans les ornements de luxe de Rebo, ce qui montre qu'elle était déjà en usage au XVe siècle avant l'ère chrétienne (7).
C'est absolument la croix des Manichéens, avec des fleurs et des feuilles. Cette croix qui produit des feuilles et des fleurs (et un fruit aussi, dit-on), est appelée l'arbre divin, l'arbre des dieux, l'arbre de la vie et de la connaissance, produisant ce qui est bon et désirable, et se trouve dans le Paradis terrestre (11) (fig. 46). Comparez ceci avec la manière dont Rome parle de la croix et vous verrez combien la coïncidence est exacte. Dans l'office de la croix, elle est appelée l'arbre de vie, et on enseigne à ses adorateurs à l'invoquer ainsi : "Salut, ô croix, bois triomphal, véritable salut du monde, de tous les arbres il n'en est point un seul dont les feuille, les fleurs, les boutons puissent être comparés aux tiens ! Ô croix, notre seule espérance, augmente la justice de l'homme pieux, et pardonne les fautes du pécheur (12)." Peut-on croire en lisant le récit scripturaire de la crucifixion, que ce récit ait jamais pu se transformer en cette bizarrerie de feuilles, de fleurs et de boutons, qu'on trouve dans l'office romain. Mais si on considère que la croix Bouddhiste, comme celle de Babylone, était l'emblème certain de Tammuz, qui était connu comme la branche de gui, ou celui qui guérit tout, il est facile de voir pourquoi l'initiale sacrée est couverte de feuilles, et pourquoi Rome, en l'adoptant, l'appelle, le "remède qui maintient la santé, guérit les maladies et fait ce que le pouvoir seul de l'homme ne pourrait jamais faire". Or ce symbole païen paraît s'être introduit tout d'abord dans l'Église chrétienne d'Égypte et dans l'Afrique entière. Une déclaration de Tertullien vers le milieu du IIIe siècle montre à quel point l'Église de Carthage était alors infectée du vieux levain (13). L'Égypte en particulier, qui n'a jamais été entièrement évangélisée, semble avoir, la première, introduit ce symbole païen. La première forme de ce qu'on appelle la croix chrétienne, découverte en Égypte sur des monuments chrétiens, est évidemment le Tau païen, ou signe de vie égyptien. Que le lecteur lise avec soin ce passage de Wilkinson :
Cela paraîtra sans doute bien étrange et bien incroyable à ceux qui ont lu l'histoire de l'Église, comme beaucoup le font, même parmi les protestants, à travers des lunettes romaines ; cela semblera surtout incroyable à ceux qui se rappellent la fameuse histoire de la croix apparaissant miraculeusement à Constantin. La croix apparue miraculeusement à Constantin Cette apparition eut lieu, dit-on, la veille de la victoire décisive qu'il remporta au pont de Milvius, victoire qui décida du sort du paganisme et du christianisme, et détrôna le premier pour établir réellement le second. Si cette histoire tant de fois racontée était véritable, elle donnerait certainement une sanction divine au culte de la croix. Mais, examinez-la attentivement, suivant la version ordinaire, et vous verrez qu'elle repose sur une erreur, erreur dans laquelle plusieurs historiens sont tombés. Milner, par exemple, nous dit : "Constantin allant de France en Italie, contre Maxence, pour une expédition qui devait être décisive, était en proie à une vive anxiété. Il comprit qu'il avait besoin d'être protégé par un dieu ; il était tout à fait disposé à respecter le Dieu des chrétiens, mais il avait besoin d'une preuve satisfaisante de son existence et de son pouvoir ; il ne savait comment l'obtenir, et ne pouvant se contenter de l'indifférence athée dans laquelle sont tombés après lui tant de capitaines et tant de héros, il pria, il implora Dieu avec tant de force et d'importunité, que Dieu ne laissa pas ses prières sans réponse. Une après-midi, pendant qu'il marchait à la tête de ses troupes, une croix lui apparut resplendissante dans les cieux, plus éclatante que le soleil, avec cette inscription : « Tu vaincras par ceci ». Ses soldats et lui furent étonnés de cette apparition ; mais jusqu'à la nuit il réfléchit à cet événement. Christ lui apparut pendant son sommeil, avec le même signe de croix, et lui ordonna de prendre ce symbole pour son enseigne guerrière (15)." Voilà ce que raconte Milner. Quelques mots suffiront à montrer que ce trophée de la croix n'a aucun fondement. Je crois qu'il ne vaut pas la peine d'examiner s'il y a eu ou non quelque signe miraculeux. Il peut y avoir eu comme il peut ne pas y avoir eu, en cette occasion "dignus vindice nodus" une crise digne de l'intervention divine. Toutefois je ne rechercherai pas s'il y a eu un fait extraordinaire. Ce que je prétends c'est que, à supposer que Constantin, en cette circonstance, ait été de bonne foi, et qu'il y ait eu dans le ciel une apparition merveilleuse, ce ne fut pas le signe de la croix, mais quelque chose de bien différent, le nom de Christ. Ce qui le prouve, c'est le témoignage de Lactance, tuteur de Crispus, fils de Constantin, l'auteur le plus ancien qui traite ce sujet, et le témoignage incontestable que nous donnent les étendards même de Constantin transmis jusqu'à nous, sur des médailles frappées à cette époque. Voici le témoignage de Lactance, il est très décisif : "Constantin fut averti dans un songe de faire sur les boucliers de ses soldats le signe céleste de Dieu avant d'engager le combat. Il se rend à cet ordre. Il écrit le nom de Christ sur les boucliers et y ajoute, en travers, la lettre X. Aussitôt ses soldats mettent l'épée à la main (16)." Or, la lettre X est l'initiale du nom de Christ, équivalent à la lettre grecque Ch. Si donc Constantin suivit l'ordre qu'il avait reçu, lorsqu'il fit le signe céleste de Dieu sous forme de la lettre X, c'était cette lettre X, comme symbole de Christ et non le signe de la croix qu'il vit dans les cieux. Quand on fit le Labarum ou le fameux étendard de Constantin, nous savons par Ambroise, le célèbre évêque de Milan, qu'on le fit d'après le même principe contenu dans la déclaration de Lactance, c'est-à-dire simplement pour arborer le nom du Rédempteur. Il l'appelle labarum, hoc est, Christi sacratum nomine signum (17). Labarum, c'est-à-dire, signe consacré par le nom du Christ (18). Il n'y a pas la plus légère allusion à une croix, à rien autre chose qu'au simple nom de Christ. Si avec ces témoignages de Lactance et d'Ambroise, nous examinons l'étendard de Constantin, nous y trouvons une confirmation éclatante des déclarations de ces auteurs ; nous voyons que cet étendard, armé des mots : "hoc signo victor eris" "par ce signe tu vaincras" qui dit-on, fut adressé du ciel à l'empereur, n'a de la forme d'une croix rien absolument que la lettre X. Dans les catacombes de Rome, sur un monument chrétien à "Simphonie et à ses fils", on trouve une allusion bien claire à l'histoire de cette vision ; mais cette allusion montre aussi que c'est la lettre X, et non la croix, qu'on regardait comme le signe céleste. Voici les mots qui sont en tête de l'inscription : IN HOC VINCES. (19) X Ce n'est absolument rien autre chose que le X qu'on donne ici comme le signe victorieux. On trouve sans doute quelques exemples de l'étendard de Constantin, où l'on voit une barre en croix à laquelle est suspendu un drapeau qui contient la lettre X (20), et Eusèbe qui écrivait que la superstition et l'idolâtrie faisaient des progrès, s'efforce de montrer que la barre en croix était l'élément essentiel de l'enseigne de Constantin. Mais c'est évidemment une erreur : la barre en croix n'était rien de nouveau, elle n'était nullement particulière à l'étendard de Constantin. Tertullien montre (21) que cette barre en croix se trouvait longtemps auparavant sur le vexillum, l'étendard de la Rome païenne qui était orné d'un drapeau, et qu'on s'en servait simplement pour déployer ce drapeau. Si donc cette croix était le signe céleste, il n'y avait pas besoin d'une voix divine pour ordonner à Constantin de le faire ; et en le faisant ou en le montrant, on n'aurait attiré aucune attention spéciale de la part de ceux qui le voyaient. Rien, absolument rien, ne nous montre que cette fameuse légende : "tu vaincras par ceci", se rapporte à cette barre en croix ; mais nous avons la preuve la plus certaine que cette légende se rapporte au X. Or, ce qui prouve bien que ce X ne représentait pas le signe de la croix mais la première lettre du nom de Christ, c'est que le P grec, qui équivaut à notre R, y est inscrit au milieu formant avec elle C. H. R. Tout le monde peut s'en convaincre en examinant les gravures des Horae Apocalypticae de M. Elliot (22). L'étendard de Constantin était donc précisément le nom de Christ. Le conseil venait-il du ciel ou de la terre, était-il donné par la sagesse humaine ou par la sagesse divine, en supposant que Constantin était sincère dans sa profession du christianisme, cette inscription ne signifiait pas autre chose qu'une traduction littérale du sentiment du Psalmiste : "Au nom de l'Éternel nous déploierons nos bannières." Arborer ce nom sur les étendards de la Rome impériale était une chose absolument nouvelle ; et la vue de ce nom devait sans aucun doute donner une ardeur peu commune aux soldats chrétiens de l'armée de Constantin qui allaient combattre et vaincre au pont de Milvius. Dans les remarques précédentes j'ai supposé que Constantin avait agi de bonne foi comme un chrétien. Sa bonne foi cependant a été mise en doute (23) et je ne puis m'empêcher de soupçonner que ce X n'ait été employé dans deux sens, l'un chrétien, l'autre païen. Il est certain que le X était en Égypte le symbole du dieu Ham, et comme tel était exposé sur la poitrine de sa statue (24). Quelle que soit la supposition qu'on accepte à propos de la bonne foi de Constantin, la preuve divine qu'on invoque pour adorer le signe de la croix ne repose sur aucun fondement. Quant au X, il est hors de doute que les chrétiens qui ne connaissaient rien des machinations et des trames secrètes, le prenaient, comme le dit Lactance, pour l'équivalent de Christ. À cet égard donc il n'avait pas beaucoup d'attrait pour les païens qui même en adorant Horus, avaient toujours été accoutumés à employer le Tau mystique ou croix comme le signe de vie, ou le charme magique qui assurait tous les biens et préservait de tous les maux. Aussi quand les multitudes païennes envahirent l'Église au moment de la version de Constantin, elles apportèrent dans l'Église comme les demi-païens d'Égypte leur vieux symbole favori ! Il en résulta que bientôt, à mesure que l'apostasie s'accentuait, le X qui en lui-même n'était pas le symbole contre nature de Christ le véritable Messie, et qui déjà avait été regardé comme tel, fut entièrement mis de côté, et le Tau, signe de la croix, le signe incontestable de Tammuz, le faux Messie, lui fut partout substitué. Ainsi, par le signe de la croix, Christ a été crucifié une seconde fois, par ceux qui se disent ses disciples. Or, ces faits étant historiques, qui peut s'étonner que dans l'église Romaine, le signe de la croix ait été toujours et partout un instrument de grossière superstition et de tromperie ? Nous pourrions encore confirmer bien davantage nos affirmations par d'autres rites et cérémonies romaines. Mais ce que nous avons déjà dit nous paraît suffisant (25).
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