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Un peu d'histoire
18e siècle
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La guerre des Camisards
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Le désert héroïque
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Le désert toléré
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La révolution et les protestants
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L'Alsace et Montbéliard
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Le Refuge au XVIIIe siècle
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La religion du désert
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Portraits
La Révocation de l'édit de Nantes marque une césure importante de l'histoire européenne : elle provoque un mouvement d'émigration des huguenots français vers les pays protestants d'Europe, qui aura des répercussions tant dans le domaine économique que dans le domaine culturel.
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Le Refuge en Allemagne au XVIIIe siècle
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Le Refuge en Hollande au XVIIIe siècle
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Le Refuge en Suisse au XVIIIe siècle
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Les huguenots en Afrique du Sud
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Jacques Basnage (1653-1723)
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Pierre Bayle (1647-1706)
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Pierre Jurieu (1637-1713)
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Jacques Saurin (1677-1730)
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Défense de sortir du royaume
sous peine de galères
(13 septembre 1699).
(S.H.P.F.) |
L'exode : les départs sont nombreux
L'article 1er de l'édit de Fontainebleau (1685) révoquant l'édit de Nantes (1598) interdit aux protestants de quitter la France. En dépit de l'interdiction qui leur est faite, nombreux sont ceux qui tentent de s'enfuir pour échapper à la persécution religieuse. L'émigration atteint alors son point culminant. Deux cent mille à trois cent mille protestants quittent la France, soit plus du quart de la population réformée française à cette époque. Cette vague d'émigration pour cause de religion avait été précédée au XVIe siècle par une première vague de départ à destination des pays protestants d'Europe (Genève en particulier), lors des guerres de religion et surtout après le massacre de la Saint-Barthélémy (1572). Il s'agissait d'une émigration plus sélective socialement et moins nombreuse que celle qui a commencé à la fin du XVIIe siècle pour se poursuivre au cours des premières décennies du XVIIIe siècle. La dernière persécution, en 1752, sous le règne de Louis XV, suscite encore des départs.
Les pays du Refuge

Différents moyens de
quitter la France,
gravure de Jan Luiken.
(S.H.P.F.) |
Les pays d'immigration ou pays du « Refuge » sont fonction de la province de départ : les protestants du Nord et de l'Ouest partent plus volontiers en direction de l'Angleterre ou des Provinces-Unies, tandis que ceux du Dauphiné, de Provence ou du Languedoc s'acheminent vers les cantons suisses et Genève. Le nombre de ceux qui sortent de France par la Suisse ou Genève est considérable : environ 140.000 entre 1680 et 1770. Il en est qui s'installent, surtout dans les cantons francophones, mais la plupart d'entre eux sont orientés vers les États allemands ou les Provinces-Unies où les conditions de l'accueil sont les plus favorables. Certains d'entre eux poursuivront leur route jusque vers les pays Scandinaves. Des pays d'Europe, leur diaspora va s'étendre jusqu'en Amérique, aux Antilles et en Afrique du Sud.
Répercussions dans les domaines économique et culturel
Ce mouvement démographique ne sera pas sans conséquences dans les pays d'accueil, et aura des répercussions tant dans le domaine économique que dans le domaine culturel. Le niveau élevé de la civilisation matérielle de la France a permis une relance de l'industrie dans les pays d'accueil, en particulier en Allemagne qui avait été ruinée par la guerre de Trente Ans (1618-1648). Les artisans exilés se trouvent en position favorable. Ils ont contribué au développement des manufactures et à la vulgarisation de certaines techniques, notamment dans le secteur du textile.
Dans le domaine culturel, les huguenots français ont joué un rôle de médiation entre la terre d'accueil et leur patrie. L'élite intellectuelle qui a opté pour l'exil s'efforce de maintenir le contact avec la culture de la patrie. Favorisés par la diaspora, des canaux d'échanges et d'influence se mettent en place. Les huguenots exilés ont contribué à faire du français la langue la plus parlée en Europe. Les périodiques littéraires et politiques qui se développent sous leur influence ont joué un rôle prépondérant dans la constitution de la « République des Lettres ». On peut en conclure qu'au XVIIIe siècle, le protestantisme français et le Refuge ne peuvent survivre l'un sans l'autre. Le développement de la librairie hollandaise, allemande ou anglaise peut être interprété comme un indice de diffusion de la culture huguenote. Il faut rappeler que cette médiation culturelle et intellectuelle du XVIIIe siècle a été préparée par le flux continu d'émigration huguenote entre les guerres de religion et la Révocation. Les huguenots français ont ainsi contribué à favoriser en Europe une sorte de cosmopolitisme érudit. Ces échanges très fructueux ont toutefois revêtu le plus souvent un caractère illicite. Livres et pasteurs circulent clandestinement en France au XVIIIe siècle. Des filières de contrebande s'instaurent permettant d'acheminer vers les protestants du Midi toutes sortes de livres prohibés : des éditions critiques de l'Ancien et du Nouveau Testament, de même que des catéchismes, des sermons ou tout autre ouvrage d'origine réformée, en particulier des études historiques. Les imprimeurs de livres interdits se trouvent principalement en Hollande, à Lausanne et à Genève.
L'assimilation
Dans leur grande majorité, les réfugiés de la première génération se sentent encore Français et ne mettent pas en question le gouvernement monarchique. Longtemps, ils ont eu l'espoir de pouvoir rentrer dans le royaume, et dans leur ensemble, ils restent fidèles à une monarchie française idéalisée. Progressivement toutefois l'assimilation se fait, bien que les réfugiés vivant dans la diaspora huguenote n'aient jamais totalement rompu les liens avec leurs coreligionnaires restés en France. Ils maintiennent avec eux une correspondance et tentent même, dans la mesure du possible, de réaliser auprès d'eux de courts séjours.
Citons à ce propos La Beaumelle
(De l'Esprit, 1801, p. 62-63) :
« Les Français que la Révocation de l'édit de Nantes a semés dans toute l'Europe, et dans des pays mêmes où il n'en devrait pas naître ; ces Français, dis-je, ne ressemblent plus aux vrais Français, dès la seconde génération ; mais ils ne ressemblent pas davantage aux peuples parmi lesquels ils ont pris naissance. On dirait que c'est une nouvelle race qui tient encore du sang du pays dont ils ont été chassés, et qui a respiré l'air du pays qui les a recueillis ».
À l'époque de la Révolution, les réfugiés huguenots se voient concéder, par l'Édit royal du 15 décembre 1790, la possibilité de recouvrer la nationalité française et de rentrer en possession de leurs biens. On ne peut chiffrer le nombre de ceux qui ont profité de cet édit. Il est en tout cas certain qu'il fut très inférieur à celui de l'exode. Le phénomène du Refuge se distinguait par son caractère de masse, tandis que le retour au pays de ses ancêtres se définit comme un phénomène individuel.
Bibliographie
• BIERNSTIEL, Eckart (textes réunis par), La Diaspora des Huguenots. Les Réfugiés protestants de France et leur dispersion dans le monde (XVIe-XVIIIe siècles), Champion, Paris, 2001.
• BOST Hubert et LAURIOL Claude, Refuge et Désert : l'évolution théologique des huguenots de la Révocation à la Révolution française, Actes du Colloque du Centre d'études du XVIIIe siècle (18-19-20 janvier 2001), Champion, Paris, 2003.
• Collectif, La vie intellectuelle aux refuges protestants, Actes de la Table ronde de Munster, 1995, Champion, Paris, 1999.
• FATIO, Olivier (dir.), Genève au temps de la révocation de l'édit de Nantes (1680-1705), Champion, Paris, 1985.
• LABROUSSE, Élisabeth, Le Refuge huguenot, Seuil, Paris, 1989.
• MAGDELAINE, Michelle, Le Refuge huguenot, Colin, Paris, 1985.
• ROSEN-PREST Viviane, L'historiographie des huguenots en Prusse au temps des Lumières, Champion, Paris, 2002.
• WEISS P.P., Histoire des réfugiés protestants de France depuis la révocation de l'édit de Nantes, Charpentier, Paris, 1853.
• YARDENI, Myriam, Le Refuge huguenot. Assimilation et culture, Champion, Paris, 2002.
Le Refuge en Allemagne au XVIIIe siècle

Accueil des réfugiés huguenots,
en Brandebourg, en 1686.
(S.H.P.F.)
|
Nombreux sont les réfugiés huguenots qui se rendent en Allemagne où les conditions de l'accueil sont particulièrement favorables.
Le flux des réfugiés vers l'Allemagne
Les réfugiés venant du Sud de la France : Dauphiné, Provence ou Languedoc, sont si nombreux qu'ils ne peuvent pas tous s'installer en Suisse et en Hollande. Ils poursuivent pour la plupart leur route vers l'Allemagne. La ville libre impériale de Francfort-sur-le-Main, qui est luthérienne, joue le rôle de « plaque tournante » du Refuge. De Francfort, les réfugiés se rendent soit en Brandebourg où le grand Électeur favorise leur venue, soit vers d'autres États allemands comme le landgraviat de Hesse-Cassel, Nuremberg ou Brème, soit encore vers les pays Scandinaves, l'Angleterre, ou l'Irlande.
L'Électeur de Brandebourg – qui est de confession réformée – offre, par son Édit de Potsdam (29 octobre 1685), des conditions d'accueil particulièrement généreuses, parmi lesquelles l'exemption d'impôts pendant les premières années, une aide matérielle et la liberté du choix de son lieu d'établissement. Nombreux sont ceux qui en ont profité. On compte 20.000 réfugiés en Brandebourg.
Au début du XVIIIe siècle, le quart de la population de Berlin est huguenote.
Les réfugiés en Brandebourg (devenu royaume de Prusse le 18 janvier 1701 lorsque Frédéric III, électeur de Brandebourg, est couronné roi de Prusse) sont considérés comme sujets naturels du roi de France jusqu'en 1709. Au cours du règne de Frédéric Ier de Prusse, ils obtiennent l'égalité des droits avec les sujets allemands, tout en conservant les privilèges qui leur avaient été accordés par l'Édit de Potsdam (1685). Ils disposent toujours de leurs tribunaux, de leurs écoles et de leurs Églises françaises.
L'Église française est très active, elle compte neuf pasteurs en 1715. Elle érige successivement trois temples et gère un hôpital.
Cette situation a duré jusqu'en 1809, lorsque Frédéric-Guillaume III abolit la constitution particulière des colonies huguenotes, en leur concédant seulement la conservation de leur organisation cultuelle et ecclésiastique.
Une enquête de 1768 indique que le nombre de retours en France des réfugiés est en fait minime, prouvant ainsi que l'idée d'un retour au pays de ses ancêtres – à la fin du XVIIIe siècle – tenait plus de la rêverie que de la réalité.
Essor économique

Église des Réfugiés à Berlin 1705.
(S.H.P.F.) |
Les Réfugiés introduisent des habitudes nouvelles en matière d'habitat ou d'alimentation. Sur le plan agricole, les huguenots relevèrent un certain nombre de villages détruits par la guerre de Trente Ans (1618-1648).
Toutes les classes de la société sont représentées, et les professions sont très diversifiées.
Toutefois, les paysans sont moins nombreux que les artisans qui, eux, apportent dans les pays d'accueil leur savoir-faire.
Dans le domaine industriel, les huguenots contribuent au développement des manufactures et à la vulgarisation des techniques, notamment dans le secteur du cuir et du textile (soie et laine) où ils jouent un rôle moteur, créant ainsi une industrie de luxe, principalement destinée à satisfaire les besoins de la Cour.
La Prusse profite en outre de l'arrivée de nombreux officiers, dont certains sont experts en matière de fortifications.
Essor culturel

Les militaires réfugiés en Brandebourg sont présentés au Grand Électeur.
(S.H.P.F.) |
Les huguenots ont eu une part déterminante dans la création à Berlin de l'Académie Royale des Sciences et des Lettres qui compte à sa fondation, en 1700, deux-tiers de membres d'origine française.
En Prusse, comme aux Pays-Bas, la presse est francophone au XVIIIe siècle.
La gazette littéraire de Berlin, hebdomadaire fondée en 1764 par Joseph de Fresne de Francheville était chargée d'une double mission : fournir des informations sur la vie littéraire en Prusse et servir de relais pour les informations en provenance de Paris.
À Berlin, le
Nouveau Journal des Savants (1694-1698) est le premier journal scientifique français. Le
Journal des Savants devient à partir de 1720 la
Bibliothèque germanique, puis
Journal littéraire d'Allemagne, de la Suisse et des Pays du Nord.
Les huguenots ont ainsi rendu accessible au public de langue française la pensée allemande en matière d'histoire, de philosophie et de droit.

Défense relative aux biens, 15 décembre 1790.
(S.H.P.F.) |
Une correspondance abondante entre huguenots réfugiés a joué un rôle important pour la diffusion des informations culturelles et constitue pour nous une chronique du Refuge huguenot au XVIIIe siècle. Citons notamment les lettres échangées entre Élie Luzac (1723- 1796), jurisconsulte et philosophe établi à Leyde, et Jean-Henri-Samuel Formey (1711-1797), secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences et belles-lettres de Berlin (1748-1770).
À la fin du siècle, un retour en France est possible
C'est à la faveur de la Révolution que les Réfugiés se voient octroyer la possibilité de reprendre la nationalité française par l'Édit royal du 15 décembre 1790 qui leur accorde également la restitution de leurs biens matériels.
On ne dispose pas de statistiques précises sur le nombre de ceux qui retournèrent alors en France. Mais il semble évident que le nombre des retours est peu important par rapport au phénomène du Refuge qui se distinguait par son caractère de masse.
Bibliographie
• BIERNSTIEL, Eckart (textes réunis par), La Diaspora des Huguenots. Les Réfugiés protestants de France et leur dispersion dans le monde (XVIe-XVIIIe siècles), Champion, Paris, 2001.
• BONIFAS A. ET KRUM H, Les huguenots à Berlin et en Brandebourg de Louis XIV à Hitler, Éditions de Paris, Paris, 2000.
• BOTS Hans et SCHILLINGS Jan, éd., Lettres d'Élie Luzac à Jean Henri S. Formey (1748-1770) – regard sur les coulisses de la librairie hollandaise du XVIIIe siècle, Champion, Paris, 2001.
• CNRS, Le Refuge huguenot en Allemagne, Paris, 1981.
• DAVID, François, Le refuge protestant dans les pays allemands (1652-1809), chronologie, géographie et statistiques de population, DEA-Université de Toulouse le Mirail, 1994.
• ROSEN-PREST Viviane, L'historiographie des huguenots en Prusse au temps des Lumières, Champion, Paris, 2002.
• Bulletin de la S.H.P.F., Numéro 127, 1994, Les colonies de réfugiés protestants français en Brandebourg (1685-1809).
Le Refuge en Hollande au XVIIIe siècle
En Hollande (Provinces-Unies), c'est surtout dans le domaine culturel que l'influence des réfugiés huguenots s'est fait sentir.
Un flux considérable de réfugiés

Les Protestants français après la Révocation ; refuges proches.
(Musée du Désert) |
Dans les Provinces-Unies, l'arrivée des huguenots fuyant les persécutions est massive. On parle de 80.000 réfugiés dans une population d'environ deux millions d'habitants. Les fugitifs venus par voie de mer s'établissent surtout dans les provinces maritimes de l'Ouest. À Rotterdam s'installent en majorité les protestants venus de Bordeaux ou de La Rochelle. Le Brabant et la Frise accueillent les agriculteurs venus du Sud de la France.
L'élan de solidarité est particulièrement généreux pour accueillir tous ces réfugiés et leur porter secours.
Dans les premières années, les réfugiés pensaient à un retour possible dans leur patrie, mais, au fil des ans, ils se sont progressivement intégrés.
Les États de Hollande proposent des lettres de naturalisation aux émigrés qui en feraient la demande. Et dès 1715, réfugiés et autochtones ont le même statut légal.
Le nombre de pasteurs réfugiés est particulièrement élevé

Jacques Saurin.
(S.H.P.F.) |
Plus de 360 pasteurs français se répartissent soit dans les Églises wallonnes existantes, créées à la fin du XVIe siècle par les réformés wallons fuyant le sud des Pays-Bas espagnols, soit dans des églises françaises non rattachées au corps wallon. Ils se font remarquer par leur éloquence et un art oratoire nouveau et particulièrement prisé pour sa rigueur. Jacques Saurin (1677-1730) se situera dans cette ligne.
D'autres se font connaître par leurs écrits, tel le pasteur Pierre Jurieu (1637-1713), réfugié à Rotterdam dès 1681, lorsque Louis XIV fait fermer l'Académie de Sedan où il enseigne la théologie. Devenu pasteur de l'Église wallonne, il rédige de 1686 à 1689 ses fameuses
Lettres pastorales à nos frères qui gémissent sous la captivité de Babylone, destinées à soutenir le moral les protestants persécutés en France, où ces lettres sont diffusées clandestinement.
Rayonnement de la librairie hollandaise
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Lettres pastorales de
Pierre Jurieu (Rotterdam, 1688) adressées aux fidèles qui gémissent sous la captivité de Baylone (Rotterdam,1688).
(S.H.P.F.) |
Les réfugiés ont joué un rôle de premier plan dans le monde de l'édition et l'industrie du livre. Ils sont nombreux à être libraires, éditeurs, imprimeurs, voire graveurs. L'apparition de plusieurs gazettes littéraires et politiques ont fait du Refuge hollandais une plaque tournante de la culture européenne de l'époque.
Citons en priorité les fameuses
Nouvelles de la République des Lettres, publiées à Amsterdam par le philosophe Pierre Bayle, de 1684 à 1687.
Citons aussi une revue mensuelle, éditée pendant une vingtaine d'années par le théologien Jacques Basnage (1653-1723) :
l'Histoire des ouvrages des Savants.
Ces périodiques, appelés aussi gazettes ou « feuilles », ont comme public privilégié les réfugiés huguenots, répartis dans les divers pays d'Europe.
En France, l'intérêt des cercles savants pour ces gazettes est freiné par les difficultés d'une diffusion nécessairement clandestine. L'oeuvre maîtresse de Pierre Bayle, le
Dictionnaire historique et critique, est interdit dans le royaume de France. Néanmoins des libraires parisiens tentent de réimprimer l'ouvrage, imprimé initialement en Hollande (1696-1697).
Bibliographie
• LABROUSSE, Élisabeth, Le Refuge hollandais : Bayle et Jurieu, Paris, 1961.
• VELHUIZEN, Evert, Le refuge huguenot aux Pays-Bas, Faculté libre de
théologie évangélique, Sèvres, 1986.
• Bulletin de la S.H.P.F., Numéro 115, 1969, BOLHUIS H.H., La Hollande et les deux refuges.
Le Refuge en Suisse au XVIIIe siècle
Au XVIIIe siècle, les cantons helvétiques, ainsi que la République de Genève, ont été davantage des lieux de transit que des lieux d'établissement.
La République de Genève

Genève, intérieur du Temple de la Fusterie.
(Reymond) |
L'adoption de la Réforme par le Conseil Général le 21 mai 1536 et la présence de Calvin ont fait de Genève un cas singulier. Dès les premières persécutions, au XVIe siècle, Genève attire un flux considérable de réfugiés français.
Lors de la seconde vague d'émigration à la suite de la Révocation de l'édit de Nantes, peu de réfugiés s'installent à Genève. Nombreux sont ceux qui y passent – jusqu'à 350 personnes par jour – qui reçoivent aide et secours, mais au XVIIIe siècle, les réfugiés dans leur ensemble ne restent pas à Genève. Le roi de France Louis XIV a imposé à Genève un Résident de France chargé de contrôler les passages et de limiter le nombre des immigrés.
Les cantons helvétiques

Plaque commémorative
du Séminaire de Lausanne fondé par Antoine Court.
(O. d'Haussonville) |
La situation des cantons helvétiques est assez analogue dans la mesure où ils ont déjà absorbé au cours de la première vague de très nombreux réfugiés, mais aussi où ils ne peuvent accueillir des sujets rebelles au roi de France, avec qui ils sont liés par la « paix perpétuelle » conclue avec François 1er et renouvelée avec Louis XIV en 1663. Ce traité permet au roi de recruter dans les cantons suisses les soldats dont il a besoin.
Ainsi, au XVIIIe siècle, de nombreux fugitifs ne font que passer à travers la Suisse, qui leur offre une aide immédiate et les oriente vers les États ou les villes libres d'Allemagne qui proposent aux réfugiés des conditions d'accueil très favorables.
Le pays de Vaud joue auprès des réfugiés un rôle particulièrement important
Le pays de Vaud accueille un nombre record de réfugiés. Comme à Berlin, au début du XVIIIe siècle, environ le quart de la population de Lausanne est huguenote.
Il existe à Lausanne – et à Genève également – toute une industrie spécialisée dans la réimpression de textes des pasteurs français du siècle précédent.
C'est de là que partent souvent les colporteurs qui introduisent clandestinement en France des Nouveaux Testaments en langue française, des traités religieux ou les écrits des réformateurs. En outre, la ville offre, à travers le Séminaire de Lausanne – créé grâce à Antoine Court en 1729 – une formation théologique aux futurs pasteurs qui se rendront ensuite clandestinement en France.
Depuis Lausanne où il s'est réfugié en 1729, Antoine Court s'emploie à faire reconnaître au Refuge les Églises du Désert. Au synode de 1744, il est nommé, à la suite de Benjamin Du Plan, « député général de l'Église », représentant des Églises du Désert auprès des pays européens.
Bibliographie
• Collectif, La Suisse et le Refuge, accueil et passage, La Table Ronde, Marseille, 1985.
• FATIO, Olivier (dir.), Genève au temps de la révocation de l'édit de Nantes (1680-1705), Champion, Paris, 1985.
• MAGDELAINE, Michelle, Le Refuge huguenot, Colin, Paris, 1985.
Les huguenots en Afrique du Sud
L'émigration des huguenots vers l'Afrique du Sud est un chapitre peu connu de l'histoire du protestantisme. Bien que faible en nombre, elle marquera le pays.
Qui étaient-ils ?
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Monument aux Huguenots
(ville du Cap).
(S.H.P.F.) |
Cette émigration n'a concerné en effet qu'une petite minorité, moins d'un millième des 200 000 protestants qui quittèrent la France après la révocation de l'édit de Nantes. En fait, elle se limite à 178 familles qui, de 1688 à 1691, firent le voyage sur 4 bateaux dont le principal était l'Osterland. Ces protestants étaient originaires pour l'essentiel de deux groupes de régions, l'une s'étendant en arc de cercle de la Flandre à la Saintonge, l'autre allant du Dauphiné au Languedoc en passant par la Provence.
À la différence du peuplement hollandais et allemand qui formait l'essentiel de la Colonie du Cap et qui était surtout composée de pauvres hères ou de mercenaires que la fin de la Guerre de 30 ans avait privés d'emploi, les huguenots, qui avaient fui leur pays pour cause de religion, appartenaient pour la plupart à la bourgeoisie moyenne ; un quart d'entre eux, si on se réfère aux listes de passagers, portait un nom à consonance aristocratique.
La Compagnie des Indes orientales

Timbre : les régions d'origine
des huguenots français
en Afrique du Sud.
(Collection privée) |
La Colonie du Cap était à l'époque une escale essentielle sur la route de Batavia pour les bateaux de la Compagnie hollandaise des Indes orientales ; elle représente à ce titre un des très rares cas historiques d'un pays possédé et entièrement dirigé par une société commerciale.
Pourquoi les « 17 puissances » – du nom des 17 administrateurs de la Compagnie – firent-elles appel aux huguenots ? Pour deux raisons essentielles :
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La première était dans le désir sincère d'aider des corréligionnaires dans le besoin, ce qui correspondait aux préceptes religieux de la Compagnie. |
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La deuxième était intéressée : il était indispensable de développer l'agriculture pour ravitailler les navires et surtout la vigne, dont les premiers essais de culture n'avaient pas réussi. Le vin se conservant, en effet, mieux que l'eau était une denrée précieuse pour les voyages. Dans le recrutement des volontaires au départ, des compétences en ce domaine faisaient prime. |
Le voyage vers Le Cap
Les conditions d'embarquement définies par la Compagnie étaient sévères : aucun bagage n'était autorisé ; le voyage était gratuit, à condition d'obéir aux règles, dont l'obligation de rester au Cap au moins cinq ans, délai au bout duquel le retour était permis mais payant. Les huguenots avaient la promesse de recevoir en arrivant autant de terres qu'ils pourraient en cultiver – en pratique, ils reçurent de 30 à 60 morgen, soit environ 15 à 30 hectares – ainsi que les outils et les semences nécessaires.
Le voyage qui durait 6 semaines était loin d'être exempt de dangers : tempêtes, pirates, vaisseaux du Roi, et surtout les maladies, scorbut, en particulier. Malgré cela, les 4 navires arrivèrent à bon port.
L'accueil

Timbre représentant
Jan van Riebeeck,
fondateur de la
ville du Cap en 1652.
(Collection privée) |
Comme ils avaient été bien reçus en Hollande, les huguenots furent aussi bien accueillis par le Gouverneur de l'époque, Jan van Riebeeck, dont la femme Maria de la Quitterie était française. Son successeur, Simon van der Stel, fut aussi à ses débuts très favorable aux huguenots.
Ceux-ci furent installés à une soixantaine de kilomètres au nord-est du Cap entre Paarl et ce qui devait devenir Franschoek (le « coin des Français »). La terre était fertile, mais très sauvage et il fallait 3 ans au moins pour la défricher. En outre, les promesses d'aide en matériels furent loin d'être toutes tenues.
Progressivement, les relations entre le Gouverneur et son fils qui lui succédera et les huguenots se détériorèrent – sans doute, à la suite d'un malentendu. Ce que la Compagnie avait en tête, c'était de voir les huguenots s'assimiler et devenir de « bons paysans hollandais », alors que les Français tenaient à conserver leur langue et leurs traditions. Tant que le Pasteur Pierre Simon, venu avec ses ouailles, fut présent, la cohésion entre huguenots fut maintenue. Mais, après son départ, la Compagnie interdit bientôt aux nouveaux arrivants d'avoir des pasteurs et des instituteurs français. Le résultat fut – fait unique dans l'émigration française – qu'en moins de deux générations, vers 1730, la langue française avait disparu.

Cimetière des Huguenots au Cap.
(S.H.P.F.) |
L'héritage huguenot aujourd'hui
Après des débuts difficiles, les colons français firent fructifier leurs terres et s'enrichirent au cours du XVIIIe siècle. Ils ne participèrent que peu au « Grand Trek » de 1836, la migration vers le nord-est du pays qui vit la fondation de l'État Libre d'Orange et du Transvaal, après la conquête anglaise.
Qu'en reste-t'il aujourd'hui ? De façon très schématique, on peut dire qu'il y a trois héritages :
Tout d'abord, celui des noms : 20 % des Afrikaners – la population blanche non anglaise – portent des noms français qui remplissent les pages des annuaires : les Du Plessis, de Villiers, du Toit, Joubert ou Marais ; certains se sont transformés en De Klerk pour Leclerc, en Viljoen pour Villon, en Retief pour Rétif, etc... Les fermes près du Cap ont également conservé leurs noms d'origine, qu'il soit géographique, comme La Motte, L'Ormarin (pour Lourmarin), La Brie, Picardie, Chamonix, etc.., religieux, comme Bethléem, ou plus anecdotique, comme Plaisir de Merle ou La Concorde...
La seconde est la persistance de la tradition religieuse : on dit que si Calvin revenait sur terre, c'est en Afrique du Sud qu'il reviendrait ; en effet, l'Église Réformée hollandaise a gardé totalement intacte la liturgie protestante de l'époque, et les cantiques de Clément Marot et Théodore de Bèze, dans leur traduction ancienne en hollandais, avec l'harmonisation de Goudimel. De cette époque où les huguenots manquaient de pasteurs, date également la tradition de la lecture quotidienne de la Bible et de sa lecture littérale – avec les conséquences que l'on sait sur la théorie de l'apartheid. Ajoutons enfin que la pratique religieuse est en Afrique du Sud toujours extrêmement vivace et que la paroisse reste le centre de la vie familiale et communautaire.
La troisième est que, malgré ou à cause de leur assimilation, les huguenots ont joué un rôle bien supérieur à celui que leur nombre représentait dans la création de l'âme afrikaner. En fait tout s'est passé comme si, ne pouvant rester français, ils décidèrent de devenir le fer de lance de la nouvelle nation. Le petit musée huguenot de Franschoek montre bien la persistance de cette influence et se plaît à souligner l'abondance des noms français dans la politique, la finance, ... et le rugby.
T. d'Albis
Bibliographie
• COERTZEN Pieter, The Huguenots of South Africa (1688-1988), Tafelberg, Le
Cap, 1988.
Jacques Basnage (1653-1723)
Pasteur à Rouen au moment de la Révocation, Jacques Basnage est obligé de fuir la France et il se réfugie en Hollande où il sera tout à la fois théologien, controversiste, historien et diplomate au service du Grand Pensionnaire Hensius.
Pour informations complémentaires, voir : Jacques Basnage (1653-1723).
Pierre Bayle (1647-1706)
Son apologie de la tolérance et sa pratique de la critique historique font de lui un précurseur de la philosophie des Lumières.
Pour informations complémentaires, voir : Pierre Bayle (1647-1706).
Pierre Jurieu (1637-1713)
Pasteur du Refuge, Pierre Jurieu s'est fait le défenseur du droit des nations.
Pour informations complémentaires, voir : Pierre Jurieu (1637-1713).
Jacques Saurin (1677-1730)
Pasteur dans les pays du Refuge – à Londres puis à La Haye – Jacques Saurin est connu pour son éloquence de prédicateur et son esprit de tolérance.
Pour informations complémentaires, voir : Jacques Saurin (1677-1730).
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Un peu d'histoire
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La guerre des Camisards
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Le désert héroïque
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Le désert toléré
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La révolution et les protestants
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L'Alsace et Montbéliard
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Le Refuge au XVIIIe siècle
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La religion du désert
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Portraits
Source : Musée virtuel du protestantisme français